Les Conjugaisons, Patrick de Bouter

Voici la saynète sur laquelle j’ai souvent travaillé avec les élèves, sans doute parce que l’apport pour le travail en langue est indéniable et que, de ce fait, elle allait l’utile à l’agréable. Elle est au départ conçue pour des non-francophones.

 

Nombre de personnages : 2, un garcon, une fille.

Décor : un banc.

Niveau de connaissance de la langue : à partir du niveau intermédiaire.

Note de mise en scène : Cette scène ne présente pas de difficulté particulière. Pour le rôle du garçon, soigner particulièrement le côté « timide qui se jette à l’eau », et bien distinguer les moments d’hésitation, empreints de gêne, et les moments d’audace, empreints de brusqueries

(Une fille assise sur un banc. Elle lit, son sac posé par terre à côté d’elle. Arrive un garçon qui passe devant elle, l’aperçoit, ralentit, puis s’éloigne, puis revient, puis s’éloigne à nouveau. Bref, il hésite, et cette valse hésitation muette peut même durer assez longtemps. Finalement, le garçon s’approche plus près du banc et se lance.)

Lui (toujours debout) : Vous, vous seriez assise sur un banc et moi, moi, je viendrais m’asseoir à côté de vous… (Il s’assied près d’elle ; elle le regarde du coin de l’œil, prend son sac par terre et le pose à côté d’elle pour lui signifier qu’il ne s’approche pas. Il glisse un peu plus loin) enfin, pas trop près. Je me mettrais à vous parler et vous feriez semblant de ne pas faire attention à moi, mais je continuerais quand même à vous parler pour susciter votre curiosité. (Elle tourne la tête vers lui, d’un air un peu amène.) Vous, vous tourneriez la tête vers moi et je vous dirais « bonjour »… (Il s’exécute) Bonjour. Alors, vous me diriez… Qu’est-ce que vous me diriez ?

Elle : Vous n’auriez pas un autre endroit pour pratiquer le mode conditionnel ?

Lui : Vous n’aimez pas le conditionnel ?

Elle : J’aimerais surtout vous voir ailleurs !

Lui : Vous voyez ! Vous aussi vous utilisez le conditionnel !

Elle : Bien sûr que j’utilise le conditionnel. Vous n’êtes pas le seul à utiliser le conditionnel !

Lui : Et le subjonctif ? Vous connaissez le subjonctif ? (Elle le regarde, incrédule.) 
Le subjonctif ! J’aimerais bien que vous le connaissiez.

Elle : Et moi, j’aimerais bien que vous me laissiez tranquille.

Lui : (enthousiaste) Le subjonctif ! Vous l’avez dit ! Vous avez dit : « J’aimerais bien que vous me laissiez tranquille ! Et « laissiez », c’est un subjonctif… Un subjonctif après un conditionnel, parce que « j’aimerais », c’est un conditionnel (voyant son regard réprobateur, il perd de son enthousiasme et devient au contraire très gêné) et un conditionnel… Voilà.

Elle : Où voulez-vous en venir exactement ?

Lui : (de nouveau enthousiaste) Au présent de l’indicatif !

Elle : Dites-moi, vous allez me faire toutes les conjugaisons ou quoi ?

Lui : Non, je vais m’arrêter au présent de l’indicatif à la forme interrogative.

Elle : Donc, si je comprends bien, vous allez me poser une question, c’est ça ?

Lui : C’est ça ! une question ! (plus embarrassé) une question.

Elle : Eh bien, allez-y !

Lui : Maintenant ?

Elle : Ben, oui, c’est maintenant le présent de l’indicatif, même à la forme interrogative.

Lui : Oui, vous avez raison… Mais j’hésite sur le verbe.

Elle : (ironique) Pourquoi ? C’est un verbe irrégulier peut-être ?

Lui : Ah non ! Pas irrégulier ! Seulement un peu… embarrassant.

Elle : Ah ! Et vous ne voulez pas m’embarrasser.

Lui : Non ! Vous embarrasser, non… Vous embrasser, oui… Mais les deux verbes sont tellement proches, c’est pour ça que j’hésite, vous comprenez ?

Elle : C’est la question ?

Lui : Non, la question, c’est : est-ce que je peux vous embrasser ? (un temps, il se ravise) Vous voyez, c’est bien ce que je disais, c’est embarrassant.
(un temps)

Elle : Vous connaissez l’impératif ?

Lui : Je vous demande pardon.

Elle : L’impératif ! L’ordre !

Lui : Ah ! L’impératif ! L’ordre (il donne des exemples) Levez-vous ! Taisez-vous ! Arrêtez-vous !

Elle : (enchaînant) Embrassez-moi !

Lui : (gêné) oui, aussi… (bas) Embrassez-moi.

Elle : (faisant semblant de ne pas avoir entendu) Comment dites-vous ?

Lui : (plus fort, mais encore embarrassé) Embrassez-moi.
(Elle l’embrasse sur la joue.)

Elle : Alors, qu’est-ce que vous pensez de cet impératif ? C’est quand même plus rapide et plus efficace que votre conditionnel, votre subjonctif et votre indicatif, non ?

Lui : (devant reconnaître l’évidence) : Si.

Elle : Vous avez compris maintenant ?

Lui : (encore gêné) Oui, je crois.
(Il se lève.)

Elle : Que faites-vous ? Vous partez ?

Lui : (soudain très sûr de lui) Taisez-vous ! Levez-vous ! Suivez-moi ! Venez chez moi et déshabillez-vous ! (au public, triomphant) J’ai compris !

 (Noir)

 

Auteur : Patrick de Bouter, autres saynètes visibles sur
 : Théâtre et FLE

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